La République et la question coloniale

l’Empire français au moment de l’exposition coloniale de 1931 (réalités, représentations et contestations)

Au xxe siècle, de grandes puissances européennes se lancent dans la conquête de vastes empires coloniaux, en particulier en Afrique. C’est la seconde vague de colonisation, après celle de la période des grandes découvertes, qui a vu la constitution des empires portugais et espagnol. Mais cette nouvelle vague de colonisation est différente car elle débouche sur la mise en place d’une véritable administration coloniale et d’une exploitation plus systématique des territoires conquis. En quelques décennies, la conquête du territoire africain est terminée et le système colonial impose sa domination sur les populations autochtones, comme c’est le cas dans l’Empire français dans les années 1930.

I En métropole, la propagande et la guerre ont fait triompher le colonialisme

  • En 1931, lors de l’apogée de l’Empire français, une grande exposition coloniale s’ouvre dans le bois de Vincennes (à la porte Dorée) : elle fait suite à la célébration du centenaire de l’Algérie en 1930. Organisée par le maréchal Lyautey (qui a eu une part active dans la conquête), elle s’étale sur plus de 110 hectares où ont été construits des monuments représentant chaque colonie africaine et asiatique de la France. Mais on y trouve aussi les pavillons des grandes entreprises comme Suez, des représentants des missions catholiques et protestantes, et des « indigènes » exhibés devant les 8 millions de visiteurs venus faire le « tour du monde en un jour » et par là même faire le tour de la « plus grande France ».
    Cette exposition coloniale est symbolique de la propagande coloniale en France métropolitaine : l’objectif est de flatter les visiteurs français en faisant une démonstration de l’expansion et de la puissance d’un Empire de plus de 12 millions de km2 et de plus de 60 millions d’habitants (avec la métropole : 100 millions d’habitants). L’exposition fait aussi la promotion de la « mission civilisatrice » française dans ses colonies au travers des missionnaires présents, mais aussi de l’intérêt économique des colonies en temps de crise, tant du point de vue des matières premières que des débouchés commerciaux (présence d’entreprises métropolitaines et d’industriels coloniaux). On ne manque pas non plus d’inviter à l’exposition le futur roi d’Angleterre (Georges VI), dans un pur esprit de compétition entre les deux plus grands empires mondiaux.
  • La propagande coloniale est véhiculée dans l’opinion publique par ce type d’exposition, mais aussi par l’école où on apprend aux écoliers français la grandeur de l’Empire. La Première Guerre mondiale a eu une influence décisive dans la popularité de l’Empire : les colonies ont fourni plus de 550 000 soldats venus « mourir pour la France » dans les tranchées européennes, et plus de 180 000 travailleurs (beaucoup d’Asiatiques) ; le traité de Versailles a aussi permis à la France de récupérer des colonies allemandes (le Togo et le Cameroun deviennent des mandats français). L’image du tirailleur sénégalais est diffusée depuis lors sur les boites de chocolat : les colonies et leur exotisme sont à la mode et influencent la publicité mais aussi l’art, la littérature et le cinéma populaire. Ainsi, des stars françaises comme Jean Gabin tournent dans des films qui popularisent une vision exotique des colonies (par exemple, la casbah d’Alger dans Pépé le Moko). À l’exception du parti communiste, les partis politiques participent au consensus colonialiste : la droite nationaliste longtemps rétive est séduite par l’image de puissance qu’il procure à la France, la gauche se contente de critiquer certains excès de l’administration coloniale.

 

 

II Dans les colonies, les intérêts français priment sur ceux des populations locales

  • Il existe plusieurs méthodes d’administration des colonies. Certaines, comme l’Indirect Rule, (association) avec un nombre limité de fonctionnaires coloniaux dirigeant les anciennes autorités des États conquis, sont plutôt attribuées à l’Empire britannique. Mais dans les faits, la situation est beaucoup plus complexe. On retrouve ce type de direction, qui préserve une certaine « autonomie » des indigènes, dans des protectorats de l’Empire français (au Maroc notamment) dirigés par le ministère des Affaires Étrangères. À l’inverse, les colonies de peuplement sont plutôt dirigées par les colons européens en place, comme en Algérie qui est constituée de trois départements français et n’est donc pas considérée comme une colonie mais comme une partie de la métropole (dirigée par le ministère de l’Intérieur).
  • Officiellement, la France mène dans ses colonies une politique d’assimilation: son objectif est donc normalement de transformer les colonisés en citoyens français qui auraient un statut d’égalité avec les citoyens métropolitains. Mais cette citoyenneté n’est accordée dans les faits qu’à une toute petite minorité d’autochtones, le plus souvent des membres de l’ancienne élite qui ont accepté d’aider les Français à diriger la colonie et servent d’intermédiaires avec le reste de la population. Cependant, ces citoyens sont souvent des « citoyens de seconde zone » qui n’ont pas les mêmes droits que les citoyens français.
    Le code de l’indigénat domine de fait depuis 1881 : il ne donne aux indigènes que des droits minimes, et un statut d’inférieurs par rapport aux colons. La France investit cependant dans le développement des colonies, en améliorant les réseaux de transport (chemins de fer) et en construisant des hôpitaux, des écoles qui enseignent aux jeunes autochtones la culture française au détriment de la culture locale (on parle d’acculturation: les enfants n’ont pas le droit de parler la langue locale et les structures traditionnelles sont également dévalorisées).
    Ces efforts sont surtout au service du développement des relations économiques avec la métropole. Les colons ont également recours aux travaux forcés. La colonisation a donc un bilan ambigu : elle a entraîné certaines améliorations (dans le domaine de la santé notamment ou de la formation des élites indigènes) mais elle a surtout entretenu les populations locales dans un statut d’infériorité difficilement acceptable. Elle a aussi mis en place un système économique tourné vers la métropole, spécialisant les colonies dans la production de matières premières à faible valeur ajoutée tout en les rendant dépendantes des productions industrielles métropolitaines (échanges commerciaux inégaux). Mais paradoxalement, ce système ne sert pas la France qui se replie trop sur ses colonies dans l’entre-deux-guerres, y consacre un budget très important, et parallèlement ne modernise pas assez sa propre structure de production tout en s’ouvrant insuffisamment au marché international.

III En France, l’anticolonialisme reste minoritaire, mais la contestation monte dans les colonies

  • Quelques voix se font entendre en France pour critiquer la colonisation, mais elles sont minoritaires. Le PCF s’oppose au colonialisme pour des raisons idéologiques : selon lui, il est l’exemple même de « l’impérialisme et de l’exploitation des peuples opprimés par le capitalisme bourgeois ». Les communistes n’hésitent pas à former les enfants des élites colonisées, qui viennent faire leurs études en métropole. Certains deviendront plus tard les leaders des mouvements indépendantistes. Dans le domaine artistique, les surréalistes français, et certains intellectuels s’opposent à la propagande colonialiste. Ils veulent aussi montrer la richesse culturelle de l’Afrique en faisant la promotion de « l’art nègre ».
  • Dans les colonies, l’opposition au colonialisme se structure. Après la Première Guerre mondiale, les soldats des colonies reviennent chez eux : ils ont combattu avec des soldats français, souvent des paysans ou des ouvriers comme eux, ce qui a remis en question dans leur esprit le principe de la supériorité des Blancs qui est à la base du fonctionnement de la société coloniale. Parallèlement, les jeunes formés en France ont appris les valeurs démocratiques, les droits de l’homme, le principe défendu par Wilson du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». La contestation prend d’abord la forme de revendications égalitaires pour une réforme ou une suppression du code de l’indigénat. Mais face à la réticence des autorités coloniales, les contestations montent allant même jusqu’à des révoltes: guerre du Rif au Maroc entre 1921 et 1926, révoltes en Syrie en 1925, etc. Les mouvements nationalistes se radicalisent en mouvements indépendantistes : Étoile africaine de Messali Hadj en Algérie (1926), Néo-Destour d’Habib Bourguiba en Tunisie en 1934. Ces mouvements ne cesseront de se renforcer : après la Seconde Guerre mondiale c’est l’anticolonialisme qui triomphera et entraînera la fin inexorable des empires coloniaux.